d'après Karina KAZARYAN
Il y a beau temps, quand la terre était encore plate, en Arménie les gens croyaient en la toute-puissance de la nature. Ils avaient peur des éléments de la nature et créaient des divinités à leur image. Mais la puissance des divinités païennes diminuait à mesure que l’humanité progressait. Leur temps est parti sans retour, disparaissant dans le gouffre de l’histoire. Il en reste seulement des mythes et des légendes associés à ces forces redoutables de la nature. Parmi toutes ces forces l’Eau était le début de tout début, la source de la vie et de l’amour.
Extrait :
L’eau de l’amour
En Arménie païenne Astghik, fille de la déesse-mère Anahit, et déesse de l’eau, était la bien-aimée du dieu du feu, Vahagn. Les Arméniens appelaient son temple situé à Achtichat "chambre de Vahagn". Le dieu du feu y venait voir sa bien-aimée ; du fruit de leur union naquit la pluie bénéfique. La fiancée du feu surpassait en beauté toutes les femmes sur la terre et dans les cieux ; tous les jeunes hommes la connaissaient. Ils savaient aussi que la nuit, quand le soleil se couchait recouvrant la terre d’un voile noir, Astghik allait se baigner dans les eaux sacrées de l’Euphrate. Charmés par les récits de la beauté de la déesse, les jeunes gens allumaient des feux sur les rochers environnants afin de contempler la belle Astghik à leur lumière. Mais la déesse faisait descendre autour d’elle un rideau de brume imperméable aux regards curieux.
Astghik fille de la déesse Anahit |
L’une des fêtes arméniennes les plus populaires, « Vardavar », est associée à la déesse Astghik. Selon l’une des versions, le nom de la fête provient du mot « vard » (rose) et signifie « parsemer de roses ». Mais pourquoi la fête de l’eau portait-elle le nom de la rose ? Selon la légende, Yahvan, le dieu méchant du royaume souterrain, qui avait été chassé du ciel pour avoir diffamé Vahagn, avait gardé rancune et cherchait une bonne occasion pour se venger de lui.
Yahvan enferma la bien-aimée dans le sombre royaume souterrain (Pastel Dzovinar) |
C'est ainsi qu'il enleva la bien-aimée du Dieu du feu, et l'enferma dans un sombre cachot . Alors, l’amour disparut des cœurs et les ténèbres s'établirent. Mais le courageux Vahagn trouva la cachette de Yahvan, l’abattit, sauvant ainsi sa bien-aimée. Revenue sur terre, Astghik offrit alors des roses qu'elle avait soignées en les arrosant d’eau de rose faisant ainsi renaître l’amour. Depuis ce temps, tous les étés, quand les roses fleurissaient, les Arméniens les portaient au temple d’Astghik et s’aspergeaient d’eau, car l’eau symbolisait l’amour...
Sur la terre et dans les cieux
Dans les légendes relativement récentes, on trouve le prénom d’une autre femme, associé à l’élément de l’eau, Tsovinar (ou Dzovinar). Ce nom provient du mot « tsov » ou dzov (mer) et signifie « marin ». Dans l’épopée « Sasna tsrer » (« Les tordus de Sassoun ») on parle de la fille du roi Gaguik, la belle Tsovinar, pour la main de qui le calife de Bagdad ennemi de l'Arménie, promettait d’arrêter les invasions sur le territoire arménien. Pour sauver le peuple du joug étranger, Tsovinar accepta d’être sa femme, à condition que le calife ne la touchât pas pendant un an. Elle ne souhaitait pas avoir d'enfants d’un mari hétérodoxe. Ayant bu l’eau d’une source magique, elle fut enceinte et accoucha de jumeaux, Sanasar et Baghdasar.
Le calife haïssait les frères et voulut les tuer à plusieurs reprises, mais la reine réussti à protéger ses enfants. Sanasar et Baghdasar grandirent et devinrent des preux vigoureux. Ils tuérent le calife et revinrent avec leur mère en Arménie.
L’histoire de Tsovinar n'est pas sans rappeler le mythe de la Grèce Antique selon lequel, Libye, fille d’Epaphos et de Memphis, qui fut aimée par Poséidon, dieu des mers, eut les jumeaux Bélos, futur roi d’Egypte, et Agénor, roi de Tyr en Phénicie.
Selon une autre légende, Tsovinar n’était pas du tout une femme terrestre ; elle était la maîtresse capricieuse de la tempête. Jouant dans les nuages, elle changeait le temps selon l’humeur, envoyant sur la terre tantôt des pluies vivifiantes, tantôt des grêles destructives. Chaque année, quand la sécheresse dévastait la terre, les enfants fabriquaient une poupée au nom de Nouri représentant Tsovinar et la portaient de maison en maison, à travers le village, chantant des chants rituels, par lesquels ils conjuraient la déesse de leur envoyer des pluies pour qu’en automne la récolte fût abondante.
Tuer le dragon
Vahagn tua le Vishap malfaisant (Dessin Dzovinar) |
Pendant l’orage, provoqué par Tsovinar, d’autres créatures mythiques s’agitaient. Ainsi, les «vichap » (les dragons) habitant au ciel, et ceux habitant dans les lacs et dans les montagnes, soulevant des tempêtes violentes du battement de leurs ailes. Au temps du paganisme précoce ces créatures étaient considérées comme des gardes de l’eau. Des menhirs, stèles verticales les représentant, étaient érigés à proximité des sources. On pensait qu’en cas de danger ils se ranimaient et protégeaient l’eau. Cependant, avec le temps l’image du dragon-gardien s’est transformée dans la conscience des Arméniens en celui d'un monstre qui buvait toute l’eau de la source. Mais quand les paysans lui sacrifiaient des jeunes filles, le «vichap » ouvrait la gueule, l’eau en coulait et les gens irriguaient la terre. Ce sacrifice devint inutile quand le dieu intrépide Vahagn leur vint en aide. Il abattit le dragon et gagna le surnom de « vichapaqagh » (vainqueur de dragons). Pendant longtemps, quand il faisait des tempêtes terribles sur le lac de Van, les gens disaient que c’était Vahagn qui entrait en lutte contre le dragon.
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