mercredi 12 juin 2013

Le Temple de la Lumière

Le Temple de la Lumière
d'après S. Gourdikian

Il y a bien des siècles de cela, les habitants de le région d'Arménie nommée Haïotz Tzor, tinrent conseil et décidèrent de bâtir un Temple de la Lumière, afin de chasser à jamais du pays l'Obscurité, l'Ignorance et la Pauvreté.
Laboureurs et semeurs, bergers et maçons, grands et petits, tous se mirent à l'oeuvre.
feutres - Dzovinar
Ils travaillaient sans trêve, de l'aube jusqu'au coucher du soleil, élevant les murs du Temple. Hélas ! Dès que tombait la nuit, et que tout sombrait dans le noir, des mains inconnues détruisaient tout ce qui avait été construit durant le jour. De sorte que, malgré  tous les efforts des bâtisseurs, les murs ne s'élevaient jamais plus haut que la surface de la terre.
Désemparés, ils ne savaient plus que faire pour empêcher les forces obscures de poursuivre leur travail d'anéantissement.            
Pastel et Feutre - Dzovinar
Un vieil érudit qui passait par cette région, fut consulté afin de trouver remède à cette situation ; il prit sa tête dans ses mains et réfléchit, réfléchit longuement - tant il est vrai que même les plus savants doivent parfois réfléchir longtemps - puis dit :
- Cela ne peut être qu'une manoeuvre de l'Esprit Noir - maudit soit son nom ! Il est partout, dans chaque lieu du monde, et toujours, son seul but est de nuire aux hommes. Mais il est possible de neutraliser son action néfaste. Prenez un flacon, remplissez-le de larmes maternelles, puis posez-le dans les fondations de votre Temple. Votre travail avancera et le Temple sera achevé.
Les bâtisseurs suivirent le conseil du vieux sage, avec espoir.
Le remède sembla efficace car l'Esprit Noir ne se manifesta plus de quelque temps.
Laboureurs et semeurs, bergers et maçons, grands et petits, de l'aube jusqu'au coucher du soleil travaillèrent avec un entrain retrouvé et un enthousiasme que rien n'aurait pu ébranler. Ils retrouvaient chaque matin le fruit de leur travail intact, tel qu'ils l'avaient quitté la veille ...
Mais hélas ! Leur joie fut de courte durée. Les murs du Temple, à peine élevés d'un mètre au-dessus du niveau de la terre, furent à nouveau détruits par les forces obscures.
Les villageois sombrèrent dans le désespoir, même les plus optimistes !

Par bonheur, vint à passer un troubadour ; il avait beaucoup voyagé, vu beaucoup de choses, connaissait le bien et le mal...
Feutres - Dzovinar
Il vit le désespoir du peuple, écouta le récit de leur malheur, en ressentit beaucoup de tristesse, réfléchit un moment, puis leur donna ce conseil : 
- Les larmes maternelle, aussi lourdes de souffrance soient-elles, ne suffisent pas. Prenez un flacon, remplissez-le de la sueur des hommes, posez-le dans les fondations de votre Temple, auprès de celui contenant les larmes. C'est ainsi seulement que vous pourrez déjouer les intentions malfaisantes de l'Esprit Noir.
Les villageois suivirent le conseil du troubadour et reprirent leur travail dans l'enthousiasme général.
Chaque matin, ils constataient avec une joie renouvelée que les forces destructrices n'avaient point sévi au cours de la nuit. Les murs du Temple de la Lumière s'élevaient, s'élevaient, au fur et à mesure . Le bonheur régnait dans le coeur des bâtisseurs car ils étaient maître de leur ouvrage, et qu'ils avaient mâté l'Esprit Noir - maudit soit son nom. Un an s'était écoulé depuis  sa dernière manifestation.
Un matin pourtant, ils virent avec consternation que, de nouveau, le Temple était détruit. Pas une pierre n'en subsistait ...
On peut imaginer le désespoir et le découragement qui s'abattirent sur les villageois. Ils en vinrent à douter : peut-être était-il inutile de s'acharner à bâtir ce Temple ? Dieu ne les en jugeait pas assez dignes ? Ils se réunirent en conseil afin de décider de l'attitude qu'il leur fallait adopter.
Les uns, les plus déterminés, proposèrent de continuer coûte que coûte, tandis que d'autres, freinés par un profond découragement, jugèrent inutile de s'obstiner dans une voie aussi décevante. Les Sages eux-mêmes étaient perplexes : seule une intervention divine pourrait les tirer d'un tel embarras.

Tout à leur réflexion, ils ne virent pas un chevalier - sorti de nulle part - s'approcher d'eux. Ce dernier vit le désespoir du peuple et s'enquit de ce qui leur causait tant d'alarmes. Il écouta attentivement le récit qu'on lui fit des évènements qui semblaient marqués du sceau de la fatalité. 
C'est sans hésitation qu'il leur donna le conseil suivant :
- Les larmes maternelles et la sueur des hommes sont essentielles, mais ne suffisent pas : il faut une épée pour assurer votre défense. Placez dans les fondations l'épée d'un brave.
Feutre - Dzovinar
Et c'est ainsi qu'ils purent achever la construction du Temple de la Lumière. L'Epée du Brave, puisant une force toujours renouvelée dans les larmes maternelles et dans la sueur des hommes, chassait les puissances obscures.
Depuis ce jour, le Temple de la Lumière s'élève, indestructible, irradiant le pays de ses rayons vivifiants.
On raconte que les esprits destructeurs, terrifiés par cette  lumière indicible, se transformèrent en corbeaux noirs et se perdirent à jamais dans de sombres abîmes.
Quant à ceux qui n'avaient reculé devant aucun sacrifice pour mener à bien l'Oeuvre de l'humanité qu'ils s'étaient fixés, ils se transformèrent en oiseaux multicolores qui voltigèrent dans les airs, autour du Temple, en chantant la victoire éternelle de la Lumière sur le Néant ...


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vendredi 7 juin 2013

Une goutte de miel - d'après Hovhannès Toumanian




Dans un tout petit village, un homme avait ouvert une boutique d'alimentation. Les affaires n'étaient pas brillantes dans ce village où régnait la pauvreté. Mais, en ces temps heureux, point n'était besoin de beaucoup d'argent pour vivre.
Un matin, la porte de l'épicerie s'ouvrit et un berger du village voisin, appuyé sur un long bâton et suivi de son énorme chien, y pénétrèrent.

- Bonjour vieux frère, je voudrais acheter un peu de miel.
 L'épicier, très affable, s'empressa autour de son client.
- Bonjour, bonjour monsieur le berger. Entrez donc. Quel beau chien vous avez-là ! J'ai du miel excellent. Je vous sers de suite. Avez-vous un récipient . Parfait. Combien vous en faut-il ?
- Donnez-m'en un demi litre. C'est vrai qu'il est beau mon chien ; si vous saviez combien je l'aime ! C'est mon compagnon fidèle, et très intelligent avec ça ! Vous devriez le voir à l'oeuvre ! Il n'a pas sa pareille pour garder les troupeaux.

L'épicier pesait le miel tout en écoutant les propos du berger quand par inadvertance une goutte tomba sur le sol. Presqu'aussitôt ...
- Dzzz...


Une mouche sortie d'on ne sait où, piqua droit sur elle. La manoeuvre n'échappa pas au chat de l'épicier qui, somnolant dans un coin, suivait d'un oeil tout ce qui se passait autour de lui. Et soudain, sans bruit, sans que rien ne laissa prévoir son intention, il fit un bond vers la mouche et l'estourbit d'un seul coup de patte.


Le chien du berger qui, jusque là, semblait ignorer la présence du chat, sursauta, irrité par cette intrusion intempestive de son ennemi héréditaire, et se rua sur lui...
Des miaulements, des aboiements, une courte lutte s'ensuivirent ... et le chat bientôt étranglé s'affaissa aux pieds de son maître.

- Oh la brute ! La sale bête ! Il a tué mon pauvre minou ! Tiens ! Tiens encore ! là ! là !
Furieux, l'épicier jetait à la tête du chien tout ce qui lui passait sous la main, si bien que le chien s'étendit à son tour, raide mort, auprès du chat.

- Sauvage ! Assassin ! Oh ! Bonnes gens, il a massacré mon pauvre chien, mon unique ami, mon gagne-pain. Que vais-je faire sans lui, que vais-je devenir maintenant ? Soyez maudits, toi et les tiens ! Tu as osé frapper et tuer mon chien ! Viens un peu que je t'inflige le châtiment que méritent les tueurs d'animaux sans défense de ton espèce ! Tiens ! Tiens ! Tiens encore ! 
Armé de son bâton, le berger avait bondi sur son homme et, aveuglé par la colère, frappait, frappait tant et si bien que ce dernier tomba inanimé sur le seuil de la boutique.

- Au secours ! A l'assassin ! A l'assassin !
La nouvelle, de bouche à oreille, de maison en maison, de quartier en quartier, se répandit dans le village comme une traînée de poudre.
- Au secours! On l'a tué ! Venez vite ! Attrapez-le !
Aux cris de colère et de vengeance, aux pleurs, aux sanglots, vint s'ajouter le glas de la cloche de l'église. On n'aurait jamais cru qu'il vivait tant de monde dans ce petit village. Des hommes, des femmes, des enfants accouraient de tous côtés ; les parents, enfants, frères, soeurs, neveux, oncles, cousins, beaux-parents, beaux-frères, parrain, amis et autres relations de l'épicier s'étaient déjà emparés du berger qu'ils rouaient de coups.
- Brute ! Assassin ! Sauvage ! Où a-t-on vu chose pareille ? Es-tu venu ici pour faire des achats ou bien pour tuer les gens dans leur propre boutique ?
Ils firent tant et si bien que le berger mourut aussi et son corps inanimé s'allongea auprès de ceux de sa victime, de son chien, du chat et de la mouche !


C'est alors que l'alarme fut donnée dans le village voisin, celui du berger.
- Accourez tous ! Ils ont tué notre berger ! Nous prendraient-ils pour des femmelettes ? Marchons sur eux ! Venez tous ! Vengeance ! Vengeance !
Les habitants du village, armés de pierres, de pelles, de pioches, de fourches, de couteaux, de fourchettes, de bâtons, de fusils, d'épées, bref, tous ce qu'ils purent trouver, les uns à pieds, les autres à cheval, ceux-ci sans chapeau, ceux-là nu-pieds, marchèrent sur le village ennemi. 
- C'est une bande de fous furieux ! Vous rendez-vous compte ? On y va pour faire des achats, on y laisse de l'argent, et comment vous remercient-ils ? Ils se mettent tous ensemble et vous massacrent sans crier gare ! Qu'est-ce que c'est que ces manières-là ? Allons-y les enfants ! En avant tout le monde ! Et pas de pitié pour les lâches assassins. Allons leur apprendre qu'ils ne peuvent impunément tuer l'un des nôtres.
- Allons-y ! Allons-y ! Vengeons-nous ! Pas de pitié pour ces fous ! Tuons-les tous ! 

Le choc fut terrible. Ils frappèrent, saccagèrent, mirent le feu partout. Les autres en firent autant. Plus il y eut de morts, plus s'enflèrent la colère et l'esprit de vengeance. Bientôt, il ne resta plus, de part et d'autre, que cadavres, cendres et fumées. Le malheur voulut que ces deux villages si proches appartinssent  à deux royaumes différents. 
Le roi de l'un d'eux apprenant ces événements se mit dans une terrible colère et convoqua ses ministres. Une proclamation fut édictée, que des hérauts portèrent dans tout le royaume :

"De la part du roi à tous ses sujets : Nobles seigneurs, braves soldats, vaillants travailleurs, grands et petits, hommes et femmes,
" Sachez tous qu'au moment où nous vivions en paix et vaquions à nos occupations habituelles, la nation voisine, sans préavis, sans prétexte aucun, a attaqué nos territoires et, armée de canons, a massacré traîtreusement nos concitoyens. Le sang innocent ainsi répandu de nos chers enfants, victimes de leur patriotisme, réclame vengeance. Nous, le roi, malgré notre amour de la paix et contre notre volonté, nous trouvons dans l'obligation de donner ordre à notre armée d'assurer notre défendre et s'il le faut d'attaquer l'adversaire. Par la grâce de Dieu, nous conquerrons les territoires de nos ennemis qui n'ont pas hésité à répandre le sang des innocents".

Le roi du second royaume déclara à son tour :
"Devant Dieu et les hommes, nous protestons contre les agissements méchants et sournois de nos voisins qui foulent aux pieds toutes les lois de bon voisinage et attisent le feu de la haine entre deux peuples jusqu'ici amis, reniant ainsi nos traités de paix et de bonne entente.
"Nous nous trouvons donc dans la triste obligation de répondre à la force par la force, à l'épée par l'épée, au nom de l'Honneur et de la Justice, au nom du sang innocent répandu, au nom de la Liberté, au nom de Dieu et de sa Gloire".
Et ce fut la guerre.


Une guerre terrible, dévastatrice comme toutes les guerres. Les champs de blé devinrent champs de bataille, les fermes furent dévastées, le bétail tué ou dispersé.
D'un pays à l'autre, tout fut mis à feu et à sang, semant partout la terreur qu'engendraient les massacres   ... Eté, hiver, sans répit, durant des années ...
La guerre continuait encore lorsque surgit la famine. Il y eut  des morts, encore des morts, beaucoup de morts ...
Ceux qui en réchappèrent par miracle, se demandent encore comment et pourquoi tout cela commença ...


**J'ai eu le plaisir de constater, au cours de mes recherches sur internet,  que ce conte figurait parmi ceux dont les professeurs français faisaient usage dans leur classe pour donner à penser à leurs jeunes élèves afin d'en tirer les leçons.  

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mercredi 5 juin 2013

A qui la faute ? d'après H. Toumanian


Il était une fois un homme très pauvre. Pourtant, Dieu sait qu'il n'était pas paresseux ; il travaillait, trimait, suait, mais rien n'y faisait. Il restait toujours pauvre.
Un jour de grand découragement, il décida d'aller trouver Dieu pour protester auprès de Lui de cette injustice dont il était victime et lui demander quand cesserait enfin cette malchance.
Il se mit en route.
Chemin faisant, il rencontra un loup.


 - Bonjour, maître voyageur ; où vas-tu ainsi ? demanda le loup.
- Je vais auprès de Dieu pour Lui ouvrir mon coeur, Lui faire le récit de mes malheurs et Lui demander conseil.
- S'il en est ainsi, j'ai un service à te demander dit le loup. Quand tu y seras, parle- Lui de moi ; dis-Lui  qu'un loup affamé court par monts et par vaux du matin au soir sans trouver de quoi se nourrir. Demande-Lui quand cessera mon martyr et pourquoi m'a-t-Il créé s'il me faut mourir de faim ?
- Je lui parlerai de toi promit l'homme et poursuivit son chemin.
Après quelque temps, il rencontra un fort belle jeune fille.


- Où vas-tu ainsi, maître voyageur ? demanda-t-elle.
- Je vais auprès de Dieu pour lui présenter une requête.
- Quand tu y seras, peux-tu Lui parler de moi aussi ? pria-t-elle. Dis-Lui qu'il est sur terre une jeune fille bien portante, riche, aussi belle qu'une autre, mais qui ne parvient pas à jouir de la vie ni à se  sentir heureuse : que doit-elle faire pour trouver le bonheur ?
- Sois tranquille, je Lui parlerai de toi aussi, promit le voyageur et il poursuivit son chemin.


Bientôt, il aperçut un arbre qui, bien que s'élevant au bord de l'eau, était complètement desséché.
- Où t'en vas-tu ainsi ? Demanda l'arbre.
- Je vais auprès de Dieu.
- Puisque c'est ainsi, entends ma prière : peux-tu lui parler de moi  et Lui dire que je ne comprends rien à mon sort ; j'ai grandi au bord de cette eau limpide, mais été comme hiver mes branches restent nues. Quand donc, moi aussi, aurais-je des feuilles vertes et brillantes comme en ont tous les autres arbres ?
- C'est promis, je Lui parlerai de ce qui te préoccupe.
Et il poursuivit son chemin.
Bien des jours et des nuits passèrent avant qu'il n'atteigne son but.
Il arriva enfin auprès de Dieu.
  
C'était un grand vieillard, à la barbe et aux cheveux blancs, qui était assis sur un énorme rocher.
- Bonjour dit le pauvre et s'immobilisa, impressionné, devant Lui.
- Bonjour répondit Dieu : que désires-tu ?
- Encouragé, le malheureux  s'enhardit : on dit que Tu es impartial, que tu ne favorises pas les uns en délaissant les autres. Cependant, bien que je travaille, m'épuise, mon sort est misérable. Malgré tous mes efforts, je reste  pauvre et n'arrive pas à manger à ma faim. Tandis que d'autres, qui ne se donnent pas autant de peine que moi, sont riches et mènent une vie tranquille. Où est l'égalité, la justice, dans tout ceci ?
- Va ! Je te donne la Chance. Désormais tu sera riche et heureux. Sache en profiter.
- J'ai encore à vous transmettre des demandes, Seigneur, reprit notre bonhomme, et soumit les requêtes du loup affamé, de la belle et malheureuse jeune fille et de l'arbre desséché.
Dieu donna les réponses appropriées à chacun des cas ; le bonhomme se confondit en remerciements et prit d'un coeur léger le chemin du retour.

Quand l'arbre l'aperçut il lui demanda :
- quel message as-tu pour moi ?
- Dieu dit qu'il y a de l'or enterré sous tes racines. Tant qu'il ne sera pas ôté, tes racines ne pourront pas te nourrir et tes branches resteront sans feuillage.
- Mais c'est parfait ! se réjouit l'arbre. Creuse donc et prends l'or ! Nous en aurons chacun bénéfice ; toi, tu seras riche et moi je me couvrirai enfin de belles feuilles vertes.
- Non, je n'ai pas le temps, je suis pressé ; Dieu m'a donné Chance, il faut que j'aille vite la trouver...
Et il s'éloigna à grands pas.

Puis, il rencontra la belle et malheureuse jeune fille, qui se précipita vers lui.
- Alors, quelles nouvelles m'apportes-tu ?
- Dieu m'a dit que pour trouver ton bonheur, il faut que tu rencontres un compagnon de vie et partages toutes tes joies et toutes tes peines avec lui.
- Puisque c'est ainsi, deviens pour moi ce compagnon, pria la jeune fille.
- Non, je n'en ai pas le temps, Dieu m'a donné la Chance ; il faut que j'aille la découvrir et en profiter dit notre homme en s'éloignant rapidement.

Le loup affamé l'attendait impatiemment au bord de la route. Dés qu'il l'aperçut, il courut vers lui :
- Alors, qu'a-t-Il dit ?
- Il me faut d'abord te raconter toutes les autres rencontres qui se sont produites après la nôtre : celles d'une jeune fille malheureuse, puis d'un arbre desséché et, finalement, les conseils de Dieu à leur intention.
Puis notre homme fit part également, au loup très attentif, chacune de ses réponses quant aux solutions à mettre en oeuvre :   
- Pour la jeune fille, la nécessité d'un compagnon - et la proposition que lui avait faite cette dernière d'être ce compagnon  - offre qu'il a déclinée car il manquait de temps ...
- Pour l'arbre desséché, la nécessité de creuser pour ôter l'or - et l'offre de l'arbre le priant de creuser la terre - ce qu'il a également refusé puisqu'il n'avait pas le temps  
et que la Chance l'attendait ailleurs ...
- Et pour moi, qu'a dit Dieu ? interroge le loup impatient
- Eh bien, Il a dit que tu devrais errer affamé jusqu'à ce que tu rencontres un imbécile que tu mangeras et qui apaisera ta faim.
- Où veux-tu que je trouve un plus grand imbécile que toi ? 
répondit le loup qui le dévora sur le champ.

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dimanche 2 juin 2013

L'Eglise aux pigeons

L'Eglise aux Pigeons
(Vieille légende)

Tamerlan, le conquérant boiteux, était devenu le maître de la moitié de la terre. Sa soif de domination et de gloire ne s'était pas apaisée pour autant. Rien ne résistait au flot de ses hordes. Partout où elles se déversaient, elles ne laissaient derrière elles que mort, feu, ruines et désolation. 

D'étape en étape, Tamerlan et ses hordes arrivèrent en Arménie n'en faisant qu'une bouchée. Une grande partie de la population fut massacrée ; ceux qui eurent la vie sauve furent faits prisonniers et traînés derrière son immense armée. Tamerlan était satisfait de cette conquête et se préparait déjà à de nouvelles victoires.

Arrivé aux bords du lac Sévan, il ordonna à ses hommes de faire une courte halte. Non loin du camp, s'élevait vers le ciel une petite église.




Et dans cette église, un vieux moine, le père Ohan, un saint homme, faisait ses prières. Bien loin de l'agitation du monde, il parlait à Dieu implorant sa miséricorde pour son peuple malheureux, pour que règne la paix sur terre. Son âme simple et bonne se  révoltait contre l'injustice du sort qui frappait son pays et ses frères. Lorsqu'il s'aperçut de la présence de Tamerlan, qu'il maudissait, ne pouvant supporter son voisinage, il interrompit ses prières, quitta l'église, cheveux et barbe d'un blanc de neige frémissant au vent,  il s'avança vers le lac et marcha sur lui, porté par ses eaux limpides et s'éloignant rapidement de ses berges.
Tamerlan sur l'autre rive vit ce miracle et n'en crut pas ses yeux.
- C'est impossible, murmura-t-il, je dois rêver.
Mais ses lieutenants affirmèrent avoir vu la même chose. Ils ne pouvaient tous rêver ...
La peur s'empara de lui ; il appela :
 - Reviens vieillard  ! Reviens homme de Dieu ! 
Le Père Ohan l'entendit et, sans se presser, revint s'immobiliser devant le conquérant.
 - Que désires-tu ô saint homme ? Demanda celui-ci.
  - Veux-tu richesses, pouvoir, vie fastueuse ? Parle, tes désirs seront exaucés.
 - Je n'ai point besoin de richesses ni de gloire. C'est la liberté de mon peuple que je te demande. Libère les prisonniers, laisse les aller où bon leur semble, vivre en hommes libres dans ce vaste monde. Il y a assez d'espace sur terre pour que toutes les créatures de Dieu puissent vivre sans se gêner.
 - Alors, tu veux la liberté de ton peuple ... Bien ! Qu'il en soit ainsi. Je t'accorde la liberté de tous ceux que pourra contenir ton église. Et maintenant, va, et prie pour moi. 

Ainsi parla Tamerlan qui ordonna qu'une partie des prisonniers fussent conduits à l'église. Les gardes laissèrent passer les hommes enchaînés qui, les uns après les autres, franchirent le seuil de l'église. Il en passa, mille, dix mille, cent mille...Mais l'église n'était pas encore pleine.
 Tamerlan, ébahi, pensa qu'il rêvait encore.
 - Laissez toujours passer ! Cria-t-il à ses gardes. 
Un nouveau flot de prisonniers s'avança vers l'église. Ils entrèrent tous, par centaines de milliers, mais l'église n'était toujours pas pleine ! 
Tous les prisonniers s'y étaient maintenant introduits ; plus un seul n'était au dehors...Mais l'église était toujours vide !
 Tamerlan désemparé ne savait plus que penser :
 - Suis-je éveillé ou est-ce encore un rêve ? Allez voir, vite, quel est ce miracle ? 

Les lieutenants du conquérant féroce se précipitèrent vers l'église, y pénétrèrent et ne virent ... que le père Ohan, agenouillé et seul devant le saint autel, les mains croisées, les yeux levés vers le ciel, la barbe blanche ruisselant de larmes, prier, prier sans cesse. 

Dieu avait exaucé la prière du saint homme. Tous les prisonniers introduits dans l'église s'étaient transformés en pigeons blancs et, par delà la fenêtre ouverte, s'étaient envolés libres et joyeux, vers leurs montagnes natales.

Dans l'église illuminée il ne restait plus que le père Ohan, agenouillé devant le saint autel, les mains croisées, les yeux levés vers le ciel, la barbe ruisselant de larmes de gratitude, il priait, priait sans cesse pour la liberté des hommes et pour la paix du monde.




samedi 1 juin 2013

L'enfant et le serpent

Feutres - Dzovinar

L'enfant et le serpent
 Fable
d'après le Rév.Père K. Srvandzian

Dans un village de la région de Mouch vivait un homme qui passait pour en être un des habitants le plus riche et le plus heureux grâce à un serpent noir qui vivait dans sa maison et lui portait chance.

Cet homme était père d'un petit garçon qui, comme tous les enfants de son âge, était plutôt turbulent.

Un jour, alors qu'il jouait avec le serpent, le petit garçon le saisit par la queue et ne le lâcha plus. Le serpent se débattit, car l'enfant lui faisait mal, tentant de se délivrer d'une étreinte qui se faisait de plus en plus forte, sans y parvenir.

Le serpent excédé, et ne trouvant pas d'autre moyen de se libérer, mordit la main du garçon. Il savait très bien le sort qui attendait le petit. Aussi, alla-t-il se blottir dans un coin obscur de la maison, attendant avec anxiété les effets de sa morsure.
Après quelques heures, en effet, l'enfant mourut.

Le père éperdu de chagrin, prit sa hache, s'en fut à la recherche du serpent, le découvrit et lui en asséna un grand coup qui lui coupa la queue.

Tout le monde sait bien que les serpents peuvent continuer à vivre, même s'il arrive un accident fâcheux à leur queue.
Notre serpent donc, abandonnant sur place la partie postérieure de son corps, s'enfuit de la maison et s'en fut vivre, désormais, dans les montagnes.

Après le départ du serpent, la chance du villageois tourna. Il ne fit plus de bonnes affaires, perdit tout son argent et fut frappé chaque jour d'un nouveau malheur.
Aussi, après avoir consulté sa femme, décida-t-il de se mettre en quête du serpent noir afin de le prier d'oublier le passé et de revenir habiter dans sa maison.

Après de longues recherches, il finit par le retrouver et lui soumit sa prière.
Mais le serpent refusa :
- Moi aussi je désirerais revenir chez vous, dit-il, mais cela est impossible. Tant que vous vous souviendrez de la mort de votre fils et moi de la perte de ma queue, nous ne pourrons plus vivre ensemble en paix.